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jeudi 16 février 2006
Champagne connaît son shit
Le soleil se couche sur Détroit : la mort et l’héritage musical de Jay-Dee
par Étienne Champagne
À Los Angeles, ce vendredi 10 février 2006, est décédé à l’âge de trente-deux ans le réalisateur/musicien/mc, James Yancey alias Jay Dee alias J-Dilla, des suites d’une rupture d’un rein conséquente au lupus dont il était atteint. Dilla constitue un des plus grands artisans de la musique urbaine des dix dernières années.
Né à Détroit le 6 février 1974 d’une mère chanteuse d’opéra et d’un père bassiste, le jeune Yancey est fasciné par la collection de disques familiale. Dès l’âge de deux ans, il trimballe une table-tournante portative au parc et joue au dj pendant que les autres enfants s’amusent. À la fin des années 80, Jay Dee rencontre T-3, Waajeed et Baatin et ils forment le groupe hip hop Slum Village (alors appelé 1st down) qui puise son inspiration chez les De La Soul, A Tribe Called Quest et Jungle Brothers. Fréquentant un endroit dédié au hip hop appelé le Hip Hop Shop ( fréquenté aussi par Eminem et ses potes du D12), il se lie d’amitié avec le claviériste de George Clinton, Amp Fiddler, qui lui enseigne les rudiments des boîtes à rythmes et des échantillonneurs. Auparavant, Yancey concoctait ses pièces à l’aide d’un simple magnétocassette et d’une table-tournante en utilisant la touche pause pour séquencer ses rythmes. Lors de la tournée estivale Lollapalooza 94 qui faisait escale à Détroit, Fiddler lui présente Q-Tip de A Tribe Called Quest et Dilla lui remet une cassette de ses musiques.
Q-Tip le rappelle quelques temps plus tard afin de travailler au quatrième album de la formation intitulé Beats, Rhymes & Life. Il collaborera ensuite à l’album Labcabincalifornia du quatuor californien Pharcyde, ainsi qu’à des morceaux avec De La Soul, Mad Skillz, Busta Rhymes, N’dea Davenport, Carl Craig, The Brand New Heavies, Janet Jackson, Keith Murray, Macy Gray, Q-Tip, Phife Dawg, Guru, Lucy Pearl, Daft Punk et The Roots. Parallèlement, il termine le premier album de Slum Village, Fantastic volume 1, qui ne verra le jour qu’en 2006 après avoir été maintes fois piraté : bisbilles d’étiquettes de disques et autres insanités corporatives laisseront la galette sur les tablettes !
Yancey forge alors un son mariant de sonorités organiques puisant dans le jazz, le soul, le funk, le rock, la musique latine, l’afrobeat et les allie avec des éléments synthétiques proches de la musique techno, de l’industriel, de la musique actuelle. À l’automne 1998, il crée la majorité des pièces du dernier album de A Tribe Called Quest, A Love Movement et Q-Tip le remercie en enregistrant la pièce Hold Tight qui figurera sur le deuxième album de Slum Village qui paraîtra en 2000. Le mc de Queen transmet le flambeau à la formation de Détroit :
Hold tight now,
This the last time you hear me now,
I’m out now,
I leave it in the hands of the Slum Now,(…)
Dilla se lie d’amitié avec le batteur Ahmir ?Love Thompson de la formation The Roots lors de l’enregistrement de Things Fall Apart. Ils créent le collectif Soulquarians en compagnie de D’Angelo, James Poyser et de Q-Tip qui marquera le renouveau soul du début des années 2000. La programmation des batteries de Yancey influencera le jeu de batterie de ?Love et, dès lors, Yancey travaillera étroitement à la création de la trilogie du neo-soul au mythique studio new-yorkais Electric Ladyland, temple de Jimi Hendrix : Voodoo de D’Angelo, Like Water For Chocolate de Common et Mama’s Gunn d’Erykah Badu. Jay-Dee devient un maître de la programmation de batterie en teintant les sonorités de ces albums de percussions funks, afrobeats et brésiliennes. À cette époque, Il entreprend une correspondance avec le réalisateur californien de la formation Lootpack, Madlib, qu’il surnommera affectueusement son cousin spirituel tant leur son est similaire. Sans jamais se rencontrer, ils s’échangent des pièces musicales et travaillent alors à la réalisation d’un album conjoint, Jaylib : Champion Sound, qui verra le jour à l’automne 2003. Perpétuellement en studio, il quitte amicalement Slum Village et se consacre à temps plein à sa carrière solo de mc et réalisateur.
En février 2001, l’étiquette britannique BBE lancera son premier album solo, Welcome to Detroit, qui constituera une plate-forme pour plusieurs mc’s de sa ville natale. Il enregistrera aussi son hymne contre l’oppression policière, Fuck the Police, remaniera de façon superbe le Eve de la formation soul avant-gardiste britannique Spacex et travaillera avec Common et les Soulquarians à l’achèvement du très psychédélique Electric Circus qui s’inspire de Pink Floyd, David Bowie, Grateful Deads, Jimi Hendrix et de Stereolab. Ses réalisations deviennent plus minimales, plus cérébrales et se rapprochent de l’esthétisme du hip hop de gauche des Antipop Consortium, de l’étiquette Def Jux (Company Flow, EL P, Aesop Rock), de DJ Krush et Shadow tout en conservant un coté musclé très urbain où les rimes qui les accompagnent sont teintés de testostérone, de gros postérieurs féminins bien ronds et de joints juteux. Dilla fournit plusieurs pièces à des mc’s de Détroit tels Que D, Frank & Dank et Phat Kat qui profitent de la notoriété du musicien pour se faire entendre. Il fait de même avec Oh No, MED et Roc C de l’étiquette Stones Throw .
Il remixe l’avant-gardiste Fourtet, réactualise le maître de l’orgue jazz Brother Jack Mc Duff pour l’étiquette Blue Note et collabore avec son mentor Amp Fiddler avant d’être hospitalisé pour épuisement et malnutrition au début de 2004. Les médecins lui recommandent alors de mener une vie équilibrée et de passer plus de temps à l’extérieur des studios. Cela ne l’empêche pas de travailler avec De La Soul à l’album The Grind Date qui marque le retour du trio de Long Island, ainsi qu’avec Slum Village, Dwele, D12, Common, Kanye West et avec le légendaire chanteur jazz Dwight Trible du collectif Tribe Records de Détroit. Des rumeurs à l’effet qu’il a glissé dans un profond coma au début de 2005 font surface et elles sont rapidement démenties par son entourage qui confirme toutefois son hospitalisation où les médecins lui ont diagnostiqué le lupus.
Pendant sa réhabilitation à l’hôpital, il travaillera à son album Donuts qu’il achèvera dans l’appartement de Los Angeles qu’il partage avec Common qui veillera à sa santé. Dilla chantera sur un morceau du collectif d’avant-garde Sa-Ra Creative Partners et travaillera étroitement avec le soulman Steve Spacex , les rappers MF Doom, Moka Only, Ghostface Killah, Pharoah Monch et Busta Rhymes avant de s’envoler pour l’Europe à la fin de 2005 où il donne des concerts en chaise roulante, gravement incommodé par le lupus… Ce sera sa tournée d’adieu!
Trois jours après son trente-deuxième anniversaire et la sortie de Donuts, sa mère, qui était venue de Détroit pour s’occuper de lui, le retrouve mort dans sa chambre… Le monde du hip hop est en deuil et son décès est comparable à celui des Kurt Cobain, Miles Davis, Fela Kuti, Jim Morrison et autres individus qui ont totalement réinventé et transcendé leur art.
Jay Dee réinvente le hip hop par ses motifs rythmiques, ses techniques d’enregistrement et par les climats qu’il crée. Il s’inspire d’une technique de découpage d’échantillons sonores popularisé par DJ Premier de Gangstarr et l’élève à un niveau supérieur : à une époque où échantilonner une pièce peut coûter des milliers de dollars en droits d’auteur, il se permet d’échantilonner la pièce Fly Like A Eagle de Steve Miller et de ne pas payer les droits, car la pièce est totalement méconnaissable….
L’influence et l’esprit de James Yancey existent dans les réalisations de Sa-Ra, des Neptunes (Pharrel le décrit comme sa principale influence), de 9th Wonder des Little Brothers, de Waajeed de PPP, de Prefuse 73, de Jneiro Jarel,d’Oh No, de Madlib, de ?Love,de Kanye West, d’Ig Culture, Marc de Clive Lowe, Freddie Krueger et plus près de nous dans le travail de la formation Specific, dans les réalisations de Ghislain Poirier et dans celles de Toast Dawg d’Atach Tatuq.
Sources : www. Stonesthrow.com
www.okayplayer.com
www.npr.org
www.rensoul.com
www.bling47.com
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